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2 Nov 2017

Petite décision à spectre large sur la planification testamentaire

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Commentaire Picard c. Succession de Lagotte 2017 QCCS 330

C’est quand on s’y attend le moins que l’on tombe sur des décisions qui à première vue nous apparaissent dénuées d’intérêt et que suite à une lecture en profondeur on s’aperçoit que cette fameuse décision aura un impact important sur tous les autres dossiers que l’on devra traiter. La décision Picard c. Succession de Lagotte 2017 QCCS 330, ne fait pas exception à cette règle.

Dans cette cause décidée le 1er février 2017 par l’Honorable Donald Bisson, juge à la Cour Supérieur du District de Joliette les faits sont assez simples. Micheline Lagotte décède le 26 octobre 2012. Au moment de son décès elle était l’épouse du demandeur, Monsieur Sylvain Picard. Le couple était marié depuis 2008, mais en couple depuis 1993 ou 1994. Ils n’ont eu aucun enfant ensemble.

La défunte a rédigé un testament daté du 9 juillet 2012, dans lequel elle prévoit deux legs particuliers à son mari. Les deux legs portent sur des immeubles, soit un immeuble à revenus et la résidence principale du couple. Il n’est pas ici question d’une contestation de ces legs, mais bien des décisions fiscales prises quant à l’un des legs par le liquidateur de la succession.

Il est à noter que le liquidateur de la Succession Michel Lagotte est aussi l’un des légataires universels résiduaires au terme du testament.
La cause prend forme alors que le liquidateur s’appuyant sur certaines clauses du testament transfère le legs particulier de l’immeuble à revenus à monsieur Picard au prix de base rajusté pour la succession. Ainsi le liquidateur transfère la responsabilité de payer les impôts au légataire particulier plutôt qu’à la succession.

Il est important de prendre connaissance des deux clauses du testament à l’étude par le tribunal. La clause 5 prévoit ainsi le legs particulier de l’immeuble à revenus, cette clause se lit ainsi :

« Je lègue à titre particulier à époux mari, Sylvain Picard, ma résidence située au […], à Montréal, à charge par ce dernier d’assumer toute hypothèque conventionnelle, s’il y a lieu, le tout sans garantie aux titres.

Le présent legs est fait à la condition expresse que mon conjoint renonce purement et simplement à tous les droits, titres et intérêts qu’il pourrait détenir ou auxquels il pourrait prétendre à l’égard :

– de toute prestation compensatoire, étant entendu que tout paiement que j’aurais pu faire à mon conjoint à ce titre lui restera acquis;
– du patrimoine familial;
– de la société d’acquêts;
À défaut de quoi mon époux sera réputé, pour l’application du présent testament, comme m’ayant prédécédée.
[…] »

Alors que la clause 10 prévoit que le liquidateur sera chargé de la pleine administration, voici le passage pertinent de cet article :
« […] mon liquidateur pourra, notamment :
[…]
c) se prévaloir de tout choix permis par les lois fiscales ou autres lois lorsqu’il considérera avantageux pour un ou plusieurs de mes légataires ou pour ma succession en général »

La question en litige était donc de déterminer si le liquidateur a outrepassé ses droits lorsqu’il a transféré l’immeuble au coût à monsieur Picard plutôt qu’à la juste valeur marchande en date du décès. Pour répondre à cette question, le juge a considéré les articles de lois fiscales s’appliquant au transfert au décès de bien en faveur des conjoints. L’article applicable d’office, le paragraphe 70(6) de Loi sur l’impôt du revenu (« LIR ») prévoit en effet que de prime abord les biens transmis au conjoint par testament, et qui sont transférés à ce dernier dans les 36 mois de l’ouverture de la succession évitent à la règle de disposition présumée à la juste valeur marchande. Ce qui permet de différer l’impôt jusqu’à la vente éventuelle du bien par le conjoint. Le liquidateur a toutefois le loisir de se prévaloir du paragraphe 70(6.2) LIR afin de nier l’application du paragraphe 70(6) LIR et ainsi appliquer la règle de disposition réputée. Cette application du paragraphe 70(6.2) LIR est applicable à chacun des biens de façon individuels, il s’agit donc d’un choix à l’entière discrétion du liquidateur pourvu que toutes les autres dispositions de ce paragraphe soient rencontrées.

Le juge a ensuite considéré les clauses applicables du testament, soit celles citées ci-haut concernant le legs particulier et les pouvoirs du liquidateur. De cette étude, le juge a déterminé qu’il n’y avait pas matière à intervenir, que le liquidateur a agi à l’intérieur de ses pouvoirs d’administration et que de ce fait il était entièrement libre de se prévaloir des choix fiscaux qui avantageaient la succession.
Je n’ai rien à dire sur l’analyse que l’Honorable Juge Bisson a faite des articles de lois pertinents ainsi que des clauses du testament. Si on s’en tient à l’interprétation littérale des dites clauses, le liquidateur a agi dans les règles.

Toutefois, il faut bien comprendre que l’article 10 du testament est une clause standard incluse d’office dans le modèle de base de tous les testaments notariés. Il est difficile de croire que la testatrice a elle-même demandé l’inclusion de cette clause. S’il en est, elle n’a même pas eu connaissance de cette clause lors de la signature de son testament. De plus, il est de pratique courante que le testateur qui veut faire supporter les impôts à ses légataires particuliers le prévoie directement à la clause pertinente, comme l’a d’ailleurs fait Mme Lagotte lorsqu’elle a prévu que le légataire particulier devrait assumer l’hypothèque. Dans le cas à l’étude, c’est le fait que le légataire particulier était aussi le conjoint de la défunte qui a permis un tel résultat. Si le légataire n’avait pas été monsieur Picard mais l’un des autres héritiers, la succession aurait dû supporter les impôts quant à l’immeuble et n’aurait eu aucun recours contre le légataire pour les recouvrer. Étant donné que selon l’analyse du juge les articles applicables étaient dénués d’ambiguïté, on n’a pas soulevé le point de l’intention réelle du testateur. C’est à mon sens une erreur compte tenu de l’utilisation de modèles de rédaction de testament.

Un autre point à prendre en considération est aussi le fait que le liquidateur est lui-même un légataire résiduaire universel. La somme d’impôt en jeu est considérable, le demandeur estime cette somme à plus de 250 000$. Le liquidateur n’était-il pas en conflit d’intérêts lors de cette prise de décision au seul avantage des légataires résiduaires universels?

La cause a été portée en appel, et suite à une requête en rejet d’appel, la Cour a indiqué être d’avis que l’appel “ne peut être qualifié de ne présenter aucune chance raisonnable de succès”. Le demandeur aura donc une nouvelle chance de faire valoir son point de vue.

En attendant l’issue de l’appel, il serait bon de voir à réviser les planifications fiscales dans les cas où le conjoint, souvent dans les cas de familles recomposées, se verra attribuer des biens ayant une valeur accrue par voie de legs particuliers plutôt que de faire partie des légataires résiduaires. Il serait important que les juristes s’assurent de l’intention réelle du testateur quant à savoir qui devra assumer la facture d’impôt de ces biens ainsi légués au conjoint, de façon à ne pas laisser de discrétion au liquidateur qui pourrait ainsi agir en sa faveur ou celles des autres héritiers au détriment du conjoint du défunt.